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Estimer le coût des engins spatiaux

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L’argent, c’est important. Même si on en a beaucoup, il y a toujours plusieurs moyens de l’utiliser : les choses sont toujours en compétition pour une part de notre budget. Une mission prestigieuse vaut-elle le coup si elle est très chère et qu’on aurait pu faire 50 missions plus petites à la place? Est-ce qu’une dépense ne sert qu’une fois, ou est-ce un investissement qui nous servira aussi plus tard?

De manière plus générale, c’est aussi la façon dont on prend nos décisions. Pas seulement, évidemment, car ils sont aussi influencés par notre idéologie (qui est parfois gravée dans les règles du jeu par la politique ou la loi). Mais c’est en général un bon mécanisme pour orienter nos choix.

Les programmes sont tous en compétition pour le budget des agences spatiales.

Lors des études préliminaires d’une mission spatiale, et lorsque l’on regarde les choses dans leur ensemble comme ce sera le cas sur ce blog, nous n’avons pas une idée précise de quels équipements de quelle entreprise seront à bord de nos vaisseaux. En fait, on ne sait pas grand-chose à part ce qu’on attend de lui, et grossièrement on a une idée de sa masse et de combien de puissance il aura besoin. Parfois, on imagine même des équipements qui n’existent pas – combien coûterais un atterrisseur lunaire capable de déposer 20 tonnes ? Si on en fabrique un seul ? Et si on en fabrique 50 ?

Le coût est quand même une métrique importante qui permet d’orienter nos décisions, alors pour faire des choix entre plusieurs alternatives tôt dans le projet, nous utilisons parfois des modèles de coûts. Cela ne prend que quelques minutes d’estimer le coût d’un objet, mais évidemment ce n’est pas très précis. Ces modèles sont construits en observant le coût des missions passées. Cela pose problème, car il y a eu quelques ruptures dans le spatial récemment. Pour n’en citer qu’un, le coût de lancement en orbite basse (le point de départ de tout ce qu’on fait dans l’espace) a été divisé par 5 en 10 ans. Il faut garder cette limite en tête, mais c’est quand même des outils décents pour se faire une première idée.

De manière très simple, la plupart des modèles de coûts fonctionnent de la même manière :

Coût = Masse Sèche X × Y

La masse sèche est un facteur déterminant car plus un système est grand, plus il y a des sous-systèmes dedans et d’interactions (ordinateurs de bord et leurs logiciels, câbles, antennes, gestion de la température et de la puissance, …). Le terme X est parfois utilisé pour casser la linéarité de l’équation : peut-être que la différence entre des engins de 1 et 2 tonnes est plus grande qu’entre des engins de 10 et 11 tonnes. D’un autre côté, plus l’engin est grand, plus il y a d’interconnexions et de complexité, plus il faut des grandes infrastructures de test et des équipements spécialisés, etc… Le modèle AMCM par exemple utilise X<1, tandis que USCM « est linéaire ». Personnellement, je trouve les modèles linéaires plus logiques et je trouve qu’ils marchent mieux. Pour finir, parlons du chiffre magique : Y. Il comprend tout : la complexité, le type de mission, le nombre d’unités produites, … Intuitivement, on comprend que le téléscope Hubble est plus complexe et a un facteur Y bien plus élevé qu’une constellation de satellites plus simples produits en masse.

Idéalement, nous voulons trouver des analogies avec des missions passées pour estimer le coût d’un élément. Si on parle par exemple d’un satellite d’observation de la Terre, regarder le coût des satellites du programme Sentinel peut être un bon point de départ pour vérifier la cohérence de ce que sort le modèle.

ProgrammeEntrepriseMasse sèche (t)Coût ($, 2018)UnitésCoût spécifique ($/tonne)
Hubble Space TelescopeLockheed10.92.9B1268.9M
Sentinel 2Astrium Germany1.02125.0M1122.9M
Sentinel 1 C & DTASI2.20478.4M2108.7M
CygnusNorthrop Grumman3.403.4B1099.6M
Apollo LEMGrumman4.484.8B1288.6M
DragonSpaceX4.203.6B2043.4M
ISS Node 2 & 3TASI15.0510.5M217.0M
Coût de quelques projets existants

Vous remarquerez que j’ai spécifié les coûts en dollars de 2018. C’est important de prendre en compte l’inflation, car les projets d’il y a 30 ans auraient l’air super bon marché sinon. On pouvait faire autant de choses avec $l en 1970 qu’avec $7.88 aujourd’hui. Vous remarquez aussi que j’utilise des $ bien que nous sommes dans la zone Euro : c’est pratique car tous les ans la NASA publie leur New Start Inflation Index (NNSI), qui est un bon chiffre à utiliser pour l’inflation spécifique des projets spatiaux (qui ne suit pas forcément l’inflation tout court).

Alors voilà. Nous allons estimer le coût à partir de la masse sèche et d’un nombre magique. Ce n’est pas super précis, mais la plupart du temps, il y a un ordre de grandeur de différence entre des solutions concurrentes, ou alors elles dépendent de la même estimation de coût, alors ça fera l’affaire.

Souvent je serai optimiste par rapport aux modèles, car la réduction des coûts de lancement vont provoquer une réduction des coûts pour les charges utiles : les missions coûtent moins cher alors on peut accepter plus de compromis. Beaucoup d’acteurs privés participent aussi à l’exploration spatiale de façon différente ces dernières années (principalement à l’initiative de la NASA) en se finançant en partie par des investisseurs privés. Cette concurrence couplée à de plus petites structures a tendance à réduire les coûts comparé à ce qu’on observait historiquement.

J’espère que vous aurez appris des choses aujourd’hui. Prochain arrêt, la Lune ! 🚀

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