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Le groupe d’action E.A.G.L.E du SGAC

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J’espère que tout le monde a passé des super vacances d’été 🙂

Le prochain article sur l’économie lunaire me prend pas mal de temps à préparer, alors entre-temps j’ai pour vous une petite news !


J’ai récemment rejoint l’équipe E.A.G.L.E. (Effective and Adaptive Governance for a Lunar Ecosystem) du SGAC, dont l’acronyme pourrais se traduire par “gouvernance efficace et adaptative pour l’écosystème lunaire”. 🦅🌕

Pour ceux qui n’en sont pas familiers, le SGAC (Space Generation Advisory Council) est une association pour les jeunes (18-35) intéressés par le spatial, que je vous invite grandement à rejoindre. Je vais à leurs événements et j’utilise leurs communautés en ligne (WhatsApp/Slack) pour rencontrer des gens de ma génération qui partagent mes centres d’intérêts. 😉

Nous n’avons pas vraiment de visuels / logo officiels pour l’équipe E.A.G.L.E., donc j’ai dû faire usage de mes incroyables talents de graphiste…

Le but du groupe d’action E.A.G.L.E. est de rédiger un rapport 🕮 détaillant le point de vue des jeunes générations, sur l’établissement de mécanismes de gouvernances pour les activités lunaires, qui soient efficaces, justes, et adaptatifs.

Notre travail se découpe en 3 phases :

  1. 🎧 Une série d’entretiens en ligne avec des représentants de diverses organisations ayant une opinion sur les mécanismes de gouvernance de la Lune. Nous souhaitons rencontrer autant de personnes que possible, issus d’associations, de gouvernements, d’agences spatiales, d’universités, d’entreprises privées, de fonds d’investissements… N’hésitez pas à me contacter si vous pensez à quelqu’un d’intéressant à rencontrer sur ces sujets !
  2. ✍️ Faire une synthèse des différents points de vue, et les mettre au défi face à des valeurs que nous partageons au sein de l’équipe, telles que le développement durable, l’inclusivité, l’efficacité, l’adaptabilité, et la prévention des conflits. Nous allons combiner les points forts des différentes propositions, pour créer quelque chose de nouveau.
  3. 💬 Partage de nos conclusions avec le reste du SGAC et prise en compte leurs commentaires pour être sûrs que notre rapport représente vraiment le point de vue des jeunes générations.

Après avoir produit le rapport final, vous aimerions partager nos travaux pendant le UNCOPUOS de 2021 (la réunion annuelle du Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique des Nations Unies).

Une des forces du groupe d’action, et une des raisons pour lesquelles j’apprécie le SGAC, c’est que notre équipe est très diverse :

  • 8 👩 / 6 👨
  • 🌍 issus de 10 pays différents : USA, Canada, Mexique, Royaume-Uni, France, Belgique, Allemagne, Italie, Kenya, Arabie Saoudite

J’espère que nous produirons un rapport utile pour alimenter la communauté intéressée par les discussions autour de la gouvernance de la Lune. Nous avons commencé les entretiens en ligne la semaine dernière, donc attendez vous à des nouvelles sur ce sujet bientôt !

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Stations-services dans l’espace : Pourquoi ? Comment ?

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La dernière fois nous avons parlé du Delta-V, la “distance” pour aller à d’autres endroits dans l’espace. Nous avons également parlé de l’équation pour calculer la charge utile, de l’impulsion spécifique… Essayons de jouer avec ces notions pour en avoir une meilleure intuition, et comprendre l’utilité du ravitaillement.

Mais d’abord, qu’est-ce que le ravitaillement ? Je n’ai pas trouvé de traduction vraiment chouette, mais en anglais ça s’appelle le “refueling” ou “refilling”. Du coup avec les copains on parle de “reufiouling”. En gros ça consiste à faire le plein d’essence comme pour une voiture, mais avec une fusée et ses propergols (le truc qu’on jette en arrière pour avancer).

On peut faire ça de 3 façons :

1) Avec un dépôt en orbite : une station spatiale qui stocke des propergols, et qui attend notre fusée pour la re-remplir. Il faut évidemment qu’il soit sur notre chemin, sinon ça ne sert à rien 😅

La start-up américaine Orbit Fab a pour projet de construire un dépôt de carburant en orbite Terrestre. Ils ont développé une interface mécanique compatible avec de nombreux systèmes, et ont déjà fait voler des prototypes sur l’ISS. Les grands industriels et politiques Américains sont d’ailleurs en train d’étudier la nécessité de mettre en place une “réserve spatiale stratégique de propergols“.

2) Par un transfert direct de véhicule à véhicule, comme proposé par SpaceX pour le Starship. Il faut pour ça arriver à faire plusieurs lancements en quelques jours, un sacré défi.

SpaceX compte connecter plusieurs Starship entre eux pour transférer le carburant d’un véhicule à un autre. La NASA a décidé de travailler avec eux pour développer cette technologie, critique pour la réalisation de missions allant au-delà de l’orbite terrestre avec ce véhicule. SpaceX laissera peut-être un Starship en orbite pour faire office de dépôt, alors les deux concepts ne sont pas vraiment si différents.

3) Tout simplement avec “une station essence” à la surface d’un corps céleste comme la Lune, Mars… ou la Terre. Bah oui, à côté des pas de tirs il y a de quoi remplir la fusée, juste avant qu’elle décolle. 😛

Illustration par James Vaughan d’une base lunaire minant de l’eau dans les régions d’ombre permanentes du pôle sud de la Lune, comme celle proposée par l’étude Commercial Lunar Propellant Architecture de 2018 (une référence en la matière, sur laquelle on aura l’occasion de revenir !). L’eau minée est ensuite séparée en oxygène et en hydrogène pour produire des ergols et ravitailler des fusées.

Maintenant qu’on sait ce qu’est le ravitaillement et où on peut le faire : à quoi ça sert ?

L’équation des fusées nous dit que plus on veut aller “loin”* (le Delta-V augmente), plus il faut une grosse masse initiale pour avoir la même masse finale… et ça croit exponentiellement ! 😟

* c’est une différence en terme d’énergie (accélération), pas vraiment une distance.

Intuitivement, le côté exponentiel se comprend : le carburant qu’on utilise à la fin doit être accéléré lui aussi, car on l’a avec nous dès le début. Et du coup il faut plus de carburant, pour accélérer à la fois la charge utile mais aussi le carburant qu’on utilisera à la fin. C’est un effet boule de neige.

Rapport entre la masse initiale et finale d’une fusée à l’impulsion spécifique de 330 sec.

Comme ce n’est pas pratique de construire des fusées énormes, ce rapport entre la masse initiale et finale limite soit le Delta-V qu’on peut faire, soit la masse utile qu’on peut emporter.

C’est aussi pour ça que les fusées ont parfois plusieurs étages (enfin, chaque étage est une fusée qui est la charge utile de la fusée d’en-dessous) : plutôt que de transporter la masse sèche de toute la fusée jusqu’au bout, une fois que le carburant qui est dans le premier étage est utilisé, on s’en débarrasse et on continue avec seulement les étages suivants.

Ce qui nous intéresse, c’est évidemment la charge utile qu’on peut emporter à destination. Du coup il faudrait regarder l’équation dans l’autre sens. Une fusée, une fois conçue et construite, a une certaine masse sèche (sa structure), et peut contenir une quantité maximum de carburant (ses réservoirs). Pour une fusée donnée, la masse initiale est donc fixée. Plus on veut aller loin, plus la masse finale – et donc la charge utile – décroit.

Pas d’échelle, pas de titre… C’est juste pour comprendre la forme de la courbe.

Pour une fusée de 1500 tonnes (faut rêver grand), une impulsion spécifique de 380 secondes, un rapport entre la masse sèche et la masse de carburant de 12,5% (1 tonne de structure pour chaque 8 tonnes de carburant), et une mission nominale avec un Delta-V de 6000 m/s (assez pour aller simple depuis l’orbite basse terrestre vers Mars ou la surface de la Lune)…

Cela donne 1200 tonnes de carburant, 150 tonnes de structure, et 150 tonnes de charge utile. C’est bizarre comme ça tombe pile poil sur les premiers chiffres qu’avaient divulgués SpaceX pour le Starship. 😉

La courbe ressemble du coup à ça :

Charge utile vs. Delta-V pour une fusée de 150 tonnes capable de contenir 1200 tonnes de carburant.

Comment la lire, concrètement ?

➡️ Si on veut aller jusqu’à la Lune (6000 m/s), on peut emporter 150 tonnes de charge utile (l’axe vertical est gradué toutes les 100 tonnes).

➡️ Avec une réserve pleine de carburant (les 1200 tonnes), si on ne veut faire que 4000 m/s, on peut emporter 400 tonnes de charge utile.

En vrai le volume de la coiffe ne permettra sûrement pas d’amener 400 tonnes (à moins d’assembler la charge utile en orbite… sans coiffe), alors ça veut dire qu’on a pas besoin de remplir toutes les 1200 tonnes de carburant si on ne prend “que” 150 tonnes de charge utile car c’est le maximum qu’on arrive à charger dedans.

Pour savoir combien de carburant il faut pour transporter 150 tonnes à 2000 m/s, il suffit d’utiliser l’équation des fusées :

  • m0/mf = 1/exp(-DeltaV/(9,81 * ISP)) = 1,71
  • mf = 150 (charge utile) + 150 (masse sèche) = 300 tonnes
  • m0 = 1,71 * 300 = 513 tonnes
  • m0 – mf = masse de carburant = 213 tonnes

m0 = masse initiale, mf = masse finale, DeltaV = 2000, ISP = 380 🤓

Pour reprendre le code couleur de la dernière fois, voici comment évoluent la masse sèche (constante car c’est une fusée à 1 seul étage), la charge utile (max. 150 tonnes), et la masse de carburant (max. 1200 tonnes), contre le Delta-V.

Au-delà de 6000 m/s de Delta-V, la fusée ne peut pas stocker assez de carburant pour continuer à envoyer 150 tonnes de charge utile à destination. Si on veut aller plus loin, il faut emporter moins de charge utile. Au-delà de 8200 m/s, la charge utile est négative : c’est une mission impossible à réaliser avec cette fusée. Il faudrait la séparer en plusieurs étages ou optimiser sa masse sèche.

La partie plus claire de la masse de carburant représente la part de carburant utilisée pour accélérer la charge utile, la plus foncée représente la masse de carburant utilisée pour accélérer la masse sèche.


Quel rapport avec le ravitaillement ? Et bien à la vue de ces graphiques, on comprend un truc : si jamais on pouvait couper le trajet de 6000 m/s en 3 morceaux de 2000 m/s, en faisant un plein de 213 tonnes à chaque fois, on n’aurait besoin que de 213 * 3 = 639 tonnes de carburant pour amener nos 150 tonnes de charge utile à destination (au lieu des 1200 tonnes). On pourrais aussi faire une fusée plus petite, car elle n’aurait pas besoin de gros réservoirs capables de contenir 1200 tonnes. Elle serait plus légère (moins de masse sèche), et ce serait d’autant plus de charge utile qu’on pourrais emporter à chaque fois !

Pour des missions vers la surface de la Lune, 6000 m/s de Delta-V depuis l’orbite basse terrestre (LEO), il y a un endroit tout trouvé pour s’arrêter en chemin : le point de Lagrange n°1 du système Terre-Lune (EML1).

Les points de lagrange entre deux corps. Dans notre exemple, M1 représente la Terre et M2 représente la Lune.

Il existe un point à mi-chemin entre la Terre et la Lune où leurs gravités s’équilibrent. Cette région d’équilibre permet de se mettre en orbite autour d’un point de l’espace où il n’y a rien. 🤯

Depuis cet endroit, il est facile d’aller soit vers la Lune, soit vers la Terre. Le Delta-V pour y aller est à peu près comme l’orbite géostationnaire terrestre (GEO), pour laquelle il existe de nombreux lanceurs. Des lanceurs existants pourraient donc envoyer des charges utiles en EML1 moyennant de modestes modifications.

Si notre vaisseau pouvait faire le plein en EML1 sur le chemin de la Lune, cela couperais le trajet de 6000 m/s en deux tronçons de 3800 m/s et 2500 m/s. Le total est un peu plus grand (6300 m/s au lieu de 6000 m/s) car il y a des manœuvres supplémentaires comparé à un trajet direct, mais cela a l’avantage de “réinitialiser l’exponentielle” de l’équation des fusées. 👍

Un total de 531 + 287 = 818 tonnes de carburant sont nécessaires pour faire le trajet et amener 150 tonnes à destination, au lieu de 1200 tonnes.

C’est pour ça qu’il est intéressant de faire du transfert de carburant de véhicule à véhicule, ou de construire des dépôts de carburant en LEO, en orbite lunaire, ou ailleurs comme en EML1.

Les stations de production de carburant à partir de ressources locales sur la Lune et sur Mars suivent la même logique, car elles permettent de “réinitialiser l’exponentielle” entre le voyage aller et le voyage retour.


L’architecture mission du Starship en fait un véhicule “trop gros” pour beaucoup d’usages, ses réservoirs de carburant ne seront pas tout le temps remplis au maximum. Sa capacité de transport supérieure à 100 tonnes en fait un véhicule de colonisation et de transport de masse. C’est à la fois un “deuxième étage” réutilisable et un atterrisseur. SpaceX mise sur ses méthodes de production à la chaîne et sur la réutilisation pour atteindre des coûts de transport (très) faibles, et pouvoir faire voler son véhicule sans l’utiliser au maximum. Il sera surdimensionné pour beaucoup d’usages, mais s’il est moins cher, quelle importance ?

Cela n’a rien à voir avec la façon dont on conçoit les fusées aujourd’hui, car on optimise tout au maximum. Pourtant ce n’est pas le cas des avions ou des voitures qui voyagent souvent partiellement à vide.

En tous cas, le Starship est un véhicule qui est fait pour Mars, dimensionné pour revenir de Mars sans avoir besoin de premier étage. Donc cela laisse de la place pour des concurrents qui feraient des véhicules optimisés pour d’autres segments, par exemples des trajets LEO-Lune, ou LEO-EML1, ou EML1-Lune, … etc !

Dans sa présentation “Making life multiplanetary” de 2017, Elon Musk explique comment le ravitaillement permet d’étendre la portée du Starship et de sa charge utile depuis l’orbite basse terrestre vers Mars (27m2s).

Pour terminer cet article, un dernier point important.

Vous l’avez peut-être déjà compris, mais plus on ravitaille une fusée tôt dans son trajet, et plus on ravitaille souvent, mieux c’est.

L’orbite basse terrestre (LEO) est déjà à 9500 m/s du sol… Et ce n’est pas possible de s’arrêter avant (sans retomber) ! C’est pour ça que c’est le meilleur endroit pour faire un dépôt de carburant ou du ravitaillement de véhicule à véhicule. Si on peut en faire d’autres plus loin, c’est mieux, mais déjà en LEO ça changerait tout.

Un dépôt de carburant en orbite basse terrestre, par Bryan Versteeg.

La majorité de la masse qu’on envoie en orbite, c’est du carburant. Si nous avions un dépôt de carburant en LEO, les fusées pourraient emporter plus de charge utile, plus loin.

Un dépôt de carburant rendrait la masse de lancement en LEO fongible. Cela veut dire qu’on pourrais plus facilement échanger une tonne en LEO contre une autre. On pourrais lancer la charge utile sur un vol, et le carburant pour la propulser avec un autre. Il pourrais y avoir des missions sans charge utile, uniquement destinées à ravitailler le dépôt, et des missions avec une grosse charge utile, sans carburant mais qui prévoient de se recharger au dépôt. Cela favoriserait les prix de gros et les gros lanceurs (les grosses fusées sont plus efficientes). La concurrence ferait réduire encore plus les coûts d’accès à l’espace. Le carburant c’est du carburant, peu importe qui le lance, alors cela faciliterais aussi les coopérations internationales.

Mais surtout: on pourrais faire des missions ambitieuse avec des lanceurs de classe moyenne. Plus besoin obligatoirement de méga-fusées. Cela veut dire que des pays de taille modeste pourraient aussi en faire, et pas seulement les superpuissances.

Ariane 6 a un deuxième étage (ULPM) beaucoup plus gros que Ariane 5 (ESC-A): il peut contenir 31 tonnes de carburant, contre 14 tonnes pour celui d’Ariane 5. C’est particulièrement synergique avec un dépôt en LEO, car si on pouvais ravitailler les 31 tonnes de carburant de l’étage supérieur d’Ariane 6, on pourrais envoyer environ 27 tonnes en TLI (trajectoire d’intersection avec la Lune), contre 8,5 tonnes prévues aujourd’hui.

C’est autant que la méga-fusée SLS block 1 avec laquelle les Américains lancent leur programme Artemis. On n’a pas de lanceurs comme ça en Europe, car on n’a pas 15 Mds € à investir dedans. Avec du ravitaillement, pas besoin d’autant !

C’est aussi une porte ouverte vers la réutilisation, autre vecteur de réduction des coûts. Si on peut recharger une fusée, pourquoi s’en débarrasser à chaque fois ? Une fois vide, on la recharge, et c’est reparti pour un tour. Une fois cette technologie développée, je pense qu’on verra beaucoup plus de deuxième étages réutilisables utilisant des technologies comme IVF de ULA, voir même des deuxièmes étages convertis en atterrisseurs comme le XEUS.

Le ravitaillement aura un impact gigantesque sur la façon dont on conçoit et utilise les engins spatiaux, alors même si c’est aujourd’hui une technologie qui est encore en développement, dans une optique de développement durable dans le système solaire, c’est avec ce paradigme qu’il faut réfléchir. Prévoir aujourd’hui des systèmes qui pourrons s’adapter à ce changement, comme la fusée Ariane 6 et son gros deuxième étage, c’est bien joué !

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Cette fois, c’est pour rester

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Le contexte géopolitique nous assure plus ou moins qu’il va y avoir de l’argent dédié au développement d’activités lunaires ces prochaines années. Même si on peut penser que ce n’est pas forcément pour des bonnes raisons, c’est une opportunité. Vivre dans l’espace aura de nombreux bénéfices, alors c’est peut-être un mal pour un bien ?

Pour rendre plus durable notre retour vers la Lune, il va falloir apprendre à vivre là-bas et à utiliser des ressources locales. L’argument premier est très pragmatique, c’est de pouvoir réduire les coûts. Les colons espagnols n’ont pas amené avec eux les pierres et le bois nécessaire pour bâtir le nouveau continent, ils ont fait avec ce qu’ils ont trouvé sur place. A plus petite échelle, ceux qui font de la randonnée savent que pouvoir se ravitailler en route (eau, nourriture) fait vraiment la différence !

Que nos sorties lunaires durent 1 semaine ou 1 an, le coût récurrent de ces sorties sera plus faible si nous investissons initialement dans des infrastructures d’utilisation de ressources locales.

Un hôtel Hilton sur la Lune, Klaus Bürgle, 1970.

Voilà ce qui et très différent en ce qui concerne la Lune par rapport aux années 60. Tous les pays sont d’accord dessus, et l’administrateur de la NASA la répète souvent: “cette fois, c’est pour rester”.

https://twitter.com/JimBridenstine/status/1110692285560307712

Cette fois c’est pour rester. D’accord. Comment on fait ? Et pourquoi on a arrêté d’y aller la première fois ? La réponse est très simple: ça coûtait trop cher de continuer, parce qu’y rester durablement n’était pas un objectif.

Dans les années 60, on commençait à peine les satellites, et l’objectif était surtout lié au voyage, pas à la destination. Kennedy a choisi de guider les américains vers la Lune “non pas parce que c’est facile, mais parce que c’est dur”, et d’y parvenir “avant la fin de la décennie”. Face à cet objectif ambitieux, des systèmes d’ingénierie et de financement exceptionnels ont été mis en place. Pour gagner la course contre la montre et démontrer que les Américains avaient la capacité d’accomplir de grandes choses, rapidement. Une fois sur place les premiers, l’objectif était atteint, et il n’y avait pas vraiment d’autres objectifs à long terme. L’euphorie nationaliste et retombée et le financement n’était plus tenable politiquement : visitée pour la première fois en 1969, la Lune n’a revu personne depuis 1972.

Cette fois, les programmes ne sont plus articulés autour d’objectifs, mais de capacités. Il y a quand même un objectif large, retourner sur la Lune pour y rester avant 202X, mais on construit petit à petit des briques qui rendent cela de plus en plus faisable, au lieu d’un gros programme monolithique. D’abord les fusées, ensuite les capsules habitées, les atterrisseurs capables de viser un endroit précis, … bientôt les rovers de prospection, les habitats lunaires, et les machines pour exploiter les ressources locales.

Il n’y a pas d’objectifs précis, mais petit à petit, les briques s’assemblent et à mesure qu’elles prennent vie, nous nous rapprochons de la Lune, en réduisant les coûts futurs pour y aller.

Dans la série The Expanse, l’humanité s’est installée dans l’espace. Pendant la nuit lunaire, les lumières des métropoles de Luna sont visibles depuis la Terre. Aucun doute que les terriens seront captivés par ce spectacle nocturne, qui chaque nuit leur rappellera qu’il est possible de rêver grand, que le ciel n’est pas un plafond, et qu’il existe une infinité d’autres mondes à découvrir, explorer, où s’installer.

Autre grande différence: certains de ces développements se font par des entreprises privées (surtout aux USA, à l’initiative de la NASA). Le gouvernement co-finance les coûts de développement, alors c’est un peu artificiel de dire “privé”. Mais une fois les coûts initiaux de recherche et développement absorbés, ces acteurs privés pourrons continuer leurs activités lunaires en nécessitant beaucoup moins d’entrants de la part des gouvernements, qui pourront alors se focaliser sur les prochaines étapes comme aller vers Mars, ou développer à plus grande échelle les installations lunaires, sans sacrifier la continuité des services précédemment développés.

L’objectif des Etats-Unis est de construire un écosystème d’acteurs privés avec des capacités complémentaires, qui s’achèteraient des services les uns aux autres, où la NASA ne serait qu’un client parmi d’autres. Les partenaires internationaux seraient bienvenus dans cet écosystème, amenant eux aussi leurs capacités et leurs services.

Ce n’est peut-être pas convainquant, car c’est très abstrait. On ne fait pas un business plan pour dire : je vais investir tant, et après tant d’années j’aurais tel retour. On est complètement dans le flou, car on ne sait pas où on va. On imagine bien comment certains services pourraient voir le jour : des entreprises de transport, des entreprises de logistiques, des entreprises pour gérer les réseaux d’énergie, des entreprises de minage, des entreprises de construction, des entreprises de nourriture et support de vie, de valorisation des déchets, des fonderies, … Aujourd’hui les pièces du puzzle ne s’assemblent pas, car il n’y a pas de clients. Qui voudrait aller sur la Lune et acheter les services de tous ces gens ? Quelles recettes feront les activités lunaires pour justifier toutes ces dépenses ?

Dans un premier temps ce seront les gouvernements qui combleront le manque d’exports, et la NASA fait le pari que l’inventivité et l’esprit d’entreprise permettra de découvrir à l’avenir quelle idées permettent aux activités lunaires de se financer.

Il était impossible, en 1788 lorsque la couronne britannique a créé le camp pénitencier de Sydney, de savoir que 60 ans plus tard cela deviendrait un état démocratique qui exporte des milliers de tonnes de laine de mouton chaque année, pour devenir aujourd’hui la 14e puissance économique mondiale. Christophe Colomb n’est pas allé en Amérique avec l’objectif de construire des exploitations de tabac et des usine de bateaux. C’est impossible de savoir à l’avance ce qui marchera. Je pense personnellement que les exports lunaires seront intellectuels (tourisme, sports en gravité réduite rediffusés sur internet, propriété intellectuelle d’innovations stimulées par ce nouvel environnement, des cailloux tout à fait ordinaires mais avec une valeur spéciale car “ils viennent de la Lune”…). L’export physique à grande échelle demanderait de faire encore beaucoup de progrès sur les fusées. Mais qui sait de quoi demain sera fait ? Quand on parle d’un horizon 60 ans, on parle d’un horizon où des jeunes pas encore nés aujourd’hui seront en fin de carrière professionnelle. Il peut se passer des choses entre temps…

En commençant aujourd’hui par des activités sponsorisées par les gouvernements, à quoi ressemblera la Lune dans 60 ans ? Si nous n’y allons pas, nous ne saurons pas.

La Lune n’est pas un endroit désagréable. La vie y est artificielle, les machines sont omniprésentes, parfois bruyantes… Mais c’est stimulant, il y a tout à construire. En levant les yeux, ont pourra toujours se rappeler que nos proches ne sont pas loin, et que ce n’est pas seulement pour eux qu’on est là, mais aussi pour ouvrir un avenir riche en découvertes et en perspectives pour tous les autres qui sont sur cette fragile sphère bleue. Le trajet ne prend que quelques jours, comme un trajet en bateau, et les communications quelques secondes, donc on peut faire des appels visio. Ce sera comme faire ses études à l’étranger dans un pays exotique avec une mauvaise connexion internet. D’ailleurs, peut-être qu’un jour des étudiants feront leur doctorat sur la Lune. Dans ces machines omniprésentes, ce sont des personnes de la Terre qui sont aux commandes, alors on ne se sent jamais vraiment délaissés. Même s’il n’y a que quelques personnes dans la base, il y a des milliers de personnes là-haut qui nous apportent leur aide jour et nuit, et des millions qui suivent notre aventure grâce aux réseaux sociaux et à des documentaires.

Image par SOM représentant le Moon Village proposé par l’ESA.
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Premier arrivé, premier servi ?

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La semaine dernière, nous avons parlé des sujets géopolitiques liés à notre retour sur la Lune. Est-il vraiment raisonnable de penser que le premier arrivé sur la Lune pourra empêcher les autres d’y faire leurs affaires (comme semblent le penser la Chine et les Etats-Unis) ? Que le retour sur la Lune va être un nouveau Far West cruel et sans règles si on ne fait rien pour le réguler (comme le suggèrent parfois les intéressés du droit spatial et l’UNOOSA) ?

Je recopie la citation de Ye Peijian ci-dessous, triste témoin de la mentalité du jeu à somme nulle :

“L’univers est un océan, la Lune est les îles Diaoyu, Mars est l’île de Huangyan. Si nous n’y allons pas maintenant bien que nous en ayons la capacité, alors nos enfants nous le reprocheront. Si d’autres y vont, ils en prendront possession, et vous ne pourrez plus y aller même si vous en avez envie. C’est une raison suffisante.”Ye Peijian


Une découverte intéressante de ces dernières années est la présence, aux pôles de la Lune, de zones au fond de cratères qui ne voient jamais la lumière du soleil. Comme il y fait toujours très froid, de la glace s’y est déposée (le soleil ne la fait jamais s’évaporer). Lorsque nous y serons, nous pourrons y extraire de l’eau 💧 et d’autres composés utiles à notre vie sur place et notre voyage de retour vers la Terre, sans avoir besoin de tout apporter avec nous.

En plus, pas loin il y a des montagnes (dunes?) tellement hautes qu’elles sont presque tout le temps au soleil ☀️. On les appelle parfois les “pics de lumière éternelle” : c’est un peu un abus de langage, car elles sont tout de même illuminées moins de 90% du temps (cette vidéo de la NASA montre 1 an de cycles de jours et nuits). Pratique en tout cas pour y poser des panneaux solaires, et ne pas avoir à attendre qu’on sache fabriquer des gros réacteurs nucléaires qualifiés pour le vol spatial.

C’est the place to be, il y a fort à parier que tout le monde voudra s’installer là-bas pour commencer.

“Le” pôle sud et ses zones d’ombre permanente. Mentalement, ça n’a pas l’air grand, ce n’est “qu’un endroit”. Qu’en est-t-il en pratique ?

Carte des zones d’ombres permanentes du pôle sud la Lune, surlignées en bleu. Visuel par Ernie Wright, 2013.

Gardons en tête que cette image ne représente qu’une partie d’un des deux pôles de la Lune (qui est, au passage, seulement un des nombreux corps célestes du système solaire). Vous voyez le petit carré rouge que j’ai rajouté sur l’image ci-dessus ?

C’est le cratère de Shackleton. Il y a de l’eau dedans, et il ressemble à ça :

Le cratère de Shackleton. Image originale par Jorge Mañes Rubio.

J’ai rajouté la Tour Eiffel sur le bord du cratère pour qu’on se rende mieux compte de sa taille. Il fait 21km de diamètre, plus de 3 fois la taille de Paris intra-muros.

Une autre visualisation que j’ai faite, qui met les choses en perspective par rapport à nos capacités actuelles en robotique : voici le trajet, à l’échelle 1:1, effectué par le rover Opportunity durant ses 15 années d’opérations sur Mars, superposé au crater de Shackleton :

Trajectoire résultant de 15 ans d’opérations du rover Opportunity sur Mars, rapporté à l’échelle au-dessus du cratère Shackleton sur la Lune.

Les rover lunaires devraient pouvoir conduire plus vite car la gravité est plus faible (il faut moins de puissance), et on peut envoyer des commandes plusieurs fois par jour, mais quand même, ça donne un ordre de grandeur. On regarde 15 ans là 😮.

Quand on voit ça, on s’en rend bien compte : même si plusieurs organisations voulaient s’installer autour du même cratère (alors qu’il y en a des dizaines, et qu’il y a deux pôles), ce ne serait pas la place qui manquerait. Les zones de lumière quasi-permanente sont plus rares, mais comme l’a dit Michael Mealling à la conférence LDC 2020:

“Celles-ci sont plus limitées que les régions d’ombres permanentes […] Elles sont si peu nombreuses que certains cercles de la politique spatiale et de la défense nationale pensent que ces zones seront contestées. Si les zones de lumière quasi-permanente aux pôles deviennent des zones contestées parce que les gens veulent les utiliser… J’aimerais avoir ce problème. Il y a certains problèmes que j’appelle des problèmes à Champagne. Si je peux avoir ce problème, j’ouvrirai une bouteille de Champagne. Je serai heureux, car cela signifiera que les gens développent les pôles de la Lune et trouvent de la valeur à y être. Et c’est un avenir dans lequel j’aimerais vivre, même s’il y a eu un peu de conflits pour savoir qui pourra installer des choses sur ces sommets.”Michael Mealling à la conférence LDC 2020, vers 57m10s.

Espérons que Michael ouvre bientôt son Champagne ! 🍾

Kevin Cannon, qui a fait plusieurs cartes très intéressantes des pôles de la Lune, pour identifier les zones les mieux loties selon divers critères, ne semble pas penser que ces emplacements spéciaux seront sources de conflits :

“Tout le monde ne voudra pas accéder aux mêmes endroits: la sélection du site dépend des objectifs et de l’architecture de la mission. Les pics de lumière éternelle sont illuminés moins de 90% du temps. Il faut tout de même prévoir les systèmes pour survivre à la nuit, donc cela pourrait valoir le coup de faire une concession sur l’illumination pour profiter d’autres avantages.”Kevin Cannon sur Twitter.


Dans tous les cas, construire des infrastructures sur la Lune prendra beaucoup de temps – même sur Terre, construire une ville de la taille de Paris prendrait des années et un budget monstrueux. Une puissance qui tarderais à se lancer pour des raisons politiques ou manque de vision ne serais pas vraiment pénalisée même si elle prenait une décennie de retard. Un pays encore en développement aujourd’hui qui commencera son aventure spatiale dans 50 ans ne manquera pas de place pour s’y installer en temps voulu, non plus.

Nous n’avons pas besoin de nous battre ni de nous exclure, ou de mettre en place des règles pour ne pas nous marcher dessus. L’espace est grand. Entraidons-nous pour avancer, plutôt que de nous mettre des bâtons dans les roues. Il sera toujours temps de décider des règles en chemin, la connaissance et l’expérience du terrain en plus (nécessaire pour être pertinent).

Le jeu à somme nulle n’existe que dans nos têtes.

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Lune: deuxième course à l’espace ?

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Dans les prochaines années, nous allons retourner sur la Lune. Pourquoi est-ce que j’en suis si sûr ?

Les Etats-Unis ont amorcé l’ambitieux programme Artemis de vols habités vers le pôle sud de la Lune, ainsi que le programme Gateway – une petite station spatiale proche de la Lune. L’Europe étudie la possibilité d’utiliser Ariane 6 pour effectuer des missions lunaires, et commence son programme EL3 d’atterrisseur lunaire (non habité). La Russie souhaite y aller aussi. L’inde y envoie des sondes scientifiquesIsraël aussi. La Chine a des plans pour y construire une base et a déjà commencé à y réaliser des exploits techniques.

Illustration par Dave Simonds pour The Economist, 2018.

Dans quel but ? Pourquoi se donner tant de mal alors que “nous y sommes déjà allés il y a 50 ans” 😩 ?

J’ai tenté d’expliquer la dernière fois pourquoi je pense que nous devrions explorer et nous installer dans l’espace.

Mais pourquoi tout le monde commence par un retour sur la Lune ?


Certains présentent le retour vers la Lune comme un concours d’ego entre les US et la Chine. Cette citation du directeur des missions lunaires chinoises est édifiante sur le sujet :

“L’univers est un océan, la Lune est les îles Diaoyu, Mars est l’île de Huangyan. Si nous n’y allons pas maintenant bien que nous en ayons la capacité, alors nos enfants nous le reprocheront. Si d’autres y vont, ils en prendront possession, et vous ne pourrez plus y aller même si vous en avez envie. C’est une raison suffisante.”Ye Peijian

Arrêtons-nous 30 secondes pour réfléchir aux implications d’une déclaration comme celle-ci, par une personne à un poste comme celui-là. Apparemment, ce serait aussi un discours tenu par certains aux Etats-Unis.

Bref, la Chine applique une stratégie pour se développer rapidement dans l’espace cislunaire ces prochaines décennies, afin de ne pas s’en voir priver l’accès. Et pour le moment, ils avancent à une vitesse impressionnante, sur tous les fronts. Une base lunaire en 2030. Un grand port spatial en orbite terrestre ravitaillé par des fusées réutilisables, d’où partent vers la Lune et le reste du système solaire des navettes propulsées par l’énergie nucléaire. Ça vous parait futuriste ? La Chine travaille dessus aujourd’hui, c’est leur feuille de route.

En réponse, le département de la défense des Etats Unis (DoD) a lancé un programme ambitieux de recherche sur la propulsion nucléaire thermique pour la première fois depuis les années 60. Le National Space Council (NSC) a recommandé au gouvernement de mettre en place :

  • Une politique concernant l’utilisation des ressources spatiales
  • Une stratégie pour défendre les intérêts stratégiques des Etats-Unis dans l’espace cislunaire
  • Un plan pour renforcer leur coopération dans l’espace avec les nations alliées

Ces derniers mois nous avons vu fleurir la directive SPD1, le programme Artemis, et les Accords Artemis – éléments dont les objectifs correspondent exactement aux recommandations du NSC.

La dimension géopolitique est donc bien toujours motrice, avec un petit air de compétition et de conflit sous-jacent. Premier arrivé, premier servi ? C’est dommage, car on a l’impression de tourner en rond et de porter dans l’espace nos conflits terrestres 😔. Il va falloir rester vigilants pour ne pas reproduire un schéma “Ouest contre Est”, comme un remake de l’OTAN vs. Pacte de Varsovie. Les Etats-Unis ont déjà un peu engagé la démarche avec leurs accords Artémis qui seraient réservés aux nations “aimant la liberté” selon le Vice-Président Mike Pence.

La Chine contre les Etats-Unis. Illustration du Financial Times.

Dans ce podcast du FISO (après 41m45s), Mike Gold, administrateur associé de la NASA, apporte un peu de nuance à cette impression que l’on pourrait avoir en lisant l’actualité.

Il y parle des Accords Artémis, et précise que les “zones de sûreté” introduites par cet accord ne sont pas une façon déguisée de mettre en place de la propriété privée sur le sol lunaire. Les zones de sûreté ne seraient pas des zones d’exclusion, elles n’interféreraient pas avec le droit de libre accès. Ce seraient simplement une implémentation du principe de non interaction du traité de l’espace, qui demande de ne pas interférer de façon dommageable avec les activités d’autrui. Il y donne l’exemple d’une zone de 15-30 mètres autour d’un rover, zone dans laquelle il pourrait causer des dommages en cas de dysfonctionnement. On est loin de ce qu’on aurait pu imaginer, où les Etats-Unis auraient déclaré un cratère entier comme zone exclusive sur la base des zones de sûreté 👍.

D’ailleurs, toujours selon Mike Gold, même s’il existe une loi aux Etats-Unis limitant la coopération de la NASA avec la Chine, cela n’empêcherait pas la Chine de rejoindre les Accords Artemis. Ils contiennent cependant un principe que la Chine ne respecte pas jusqu’à présent : celui de partager ouvertement les données scientifiques acquises. Fausse invitation ?

Peut-être existe-t-il une réelle discordance aux Etats-Unis. D’une part, le gouvernement qui tient un discours nationaliste et “America First”. De l’autre, la NASA qui oriente plutôt son discours autour du développement durable dans l’espace en y construisant une économie, et promeut la coordination pour prévenir la confusion et les conflits.

La Chine, de son côté, fait son bout de chemin et se dit ouverte aux coopérations. Dmitry Rogozin, directeur général de Roscosmos, s’est d’ailleurs dit plus intéressé par une coopération avec la Chine qu’avec les Etats-Unis pour établir une base lunaire. Selon lui, dans l’état actuel des choses, les Etats-Unis prennent trop le leadership et ce n’est du coup pas assez international. Ce sera intéressant de voir comment l’Europe réagis. Nous essaierons sûrement de coopérer avec tout le monde, mais par exemple si les systèmes Américains ne sont pas compatibles avec un futur standard Sino-Russe, quel design choisirons-nous ?

Tweets de @katlinegrey le 13/07/2020 transcrivant une interview de Dmitry Rogozin à la radio.

Tout le monde se dit ouvert aux coopérations, car personne ne voudrait passer pour le méchant de l’histoire, cela ferait fuir les partenaires potentiels. Espérons que ces discours de coopération ne soient pas que des façades, et qu’il y aura un rapprochement entre la Chine, la Russie, et les Etats-Unis. Même si cela ne prend pas la forme de projets conjoints, simplement le fait de s’accorder sur un nouveau cadre légal aurait une profonde signification.


Des traités internationaux empêchent la militarisation de l’espace, mais même en supposant qu’ils soient respectés, une nation qui ne déploie pas d’armes dans l’espace a quand même tout intérêt à y installer certaines infrastructures. Lesquelles ?

Aujourd’hui, beaucoup de services sont disponibles grâce à des machines qui sont dans l’espace. Que se passerait-il en cas de conflit ? S’ils venaient à être détruits ou simplement mis hors-service ? Perdre le positionnement GPS et les capacités de communications par satellite entraverait gravement les armées et la société civile. Plus d’observation par satellite. Plus de télévision. Plus de météo. Parfois, plus d’internet.

Qu’est-ce que la Lune a à voir là-dedans ? Et bien l’espace est grand, alors la Lune est loin. Mais pas trop loin. En fait, elle est à un endroit très intéressant qui fait qu’on met plusieurs jours à y voyager physiquement, mais seulement quelques secondes pour échanger des informations (les ondes radio voyagent à la vitesse de la lumière). On dispose également de matières premières sur place pour construire et survivre.

Une des ressources les moins reconnues de l’Espace, c’est qu’il permet de mettre beaucoup de distance entre vous et le reste de l’humanité. Le vide parfait et une gravité nulle ou réduite sont aussi utiles pour plein de trucs. Enfin bref…

Quelles installations uniques peut-on mettre en place sur la Lune ?

Il y a une façon assez évidente de profiter de la Lune : prendre avantage de la grande distance physique et du faible délai de communication. Par exemple, un centre d’archivage et de télécommunications haute sécurité. Si quelqu’un essayait de le détruire, on pourrais voir le missile arriver plusieurs jours à l’avance. Cela laisserait du temps pour l’intercepter et déplacer les données critiques ailleurs, car les données, elles, voyagent vite. Ce centre pourrait aussi être utilisé comme un relais de données et poste d’observation de la Terre. La face visible de la Lune fait toujours face à la Terre, quel meilleur endroit pour y installer un énorme télescope ? Sur Terre, il est possible de conduire des opérations militaires secrètes pour attaquer d’autres pays. En revanche, lancer un missile vers la Lune, ça serait spectaculaire, et tout le monde serait au courant. Selon les traités internationaux, ce serait sans ambiguïté une déclaration de guerre.

Ceci n’est qu’une idée. Un argument de dissuasion, qui sécurise les actifs spatiaux sans pour autant représenter une menace offensive. Pourquoi détruire des satellites de télécommunications ou d’observation s’il y a un relais disponible sur la Lune prêt à prendre la main quelques secondes plus tard ? D’autres formes de résilience existent. C’est par exemple beaucoup plus compliqué de détruire 100 satellites d’une constellation, qu’un seul satellite plus gros.

Aujourd’hui la Lune est un endroit distant dont on pourrait penser qu’il ne vaut pas la peine d’être sécurisé. Mais en fait, ce n’est pas si différent des océans ou des airs, il suffit de disposer des bons équipements et d’acteurs industriels compétents pour y établir une présence. Dans un futur peut-être pas si lointain, la Lune et l’espace de manière général pourraient devenir des endroits important pour la sécurité nationale. Alors il ne faut pas rater le coche et s’y faire une place. Je ne dis pas que j’approuve, mais on dirait que c’est une idée en vogue en ce moment. C’est explicite pour la Chine et les Etats-Unis, peut-être moins pour les autres, mais je vous met au défi de trouver des communications officielles qui présenteraient de meilleures raisons d’engager de si gros budgets. Y compris en Europe, qui investit des milliards pour être indépendante avec son lanceur Ariane et les satellites Galileo. Pour conserver son indépendance lorsque la Lune jouera un rôle central, l’Europe devra-t-elle développer ses propres vaisseaux habités ?

En tout cas, espérons que des conflits, catastrophiques pour la production de débris orbitaux, n’arriveront jamais, car on risquerait de perdre tout accès à l’espace.

C’est aussi pour ça qu’il faut des moyens de dissuasion…

Pas évident de savoir quoi penser de l’état actuel des choses.

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Estimer le coût des engins spatiaux

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L’argent, c’est important. Même si on en a beaucoup, il y a toujours plusieurs moyens de l’utiliser : les choses sont toujours en compétition pour une part de notre budget. Une mission prestigieuse vaut-elle le coup si elle est très chère et qu’on aurait pu faire 50 missions plus petites à la place? Est-ce qu’une dépense ne sert qu’une fois, ou est-ce un investissement qui nous servira aussi plus tard?

De manière plus générale, c’est aussi la façon dont on prend nos décisions. Pas seulement, évidemment, car ils sont aussi influencés par notre idéologie (qui est parfois gravée dans les règles du jeu par la politique ou la loi). Mais c’est en général un bon mécanisme pour orienter nos choix.

Les programmes sont tous en compétition pour le budget des agences spatiales.

Lors des études préliminaires d’une mission spatiale, et lorsque l’on regarde les choses dans leur ensemble comme ce sera le cas sur ce blog, nous n’avons pas une idée précise de quels équipements de quelle entreprise seront à bord de nos vaisseaux. En fait, on ne sait pas grand-chose à part ce qu’on attend de lui, et grossièrement on a une idée de sa masse et de combien de puissance il aura besoin. Parfois, on imagine même des équipements qui n’existent pas – combien coûterais un atterrisseur lunaire capable de déposer 20 tonnes ? Si on en fabrique un seul ? Et si on en fabrique 50 ?

Le coût est quand même une métrique importante qui permet d’orienter nos décisions, alors pour faire des choix entre plusieurs alternatives tôt dans le projet, nous utilisons parfois des modèles de coûts. Cela ne prend que quelques minutes d’estimer le coût d’un objet, mais évidemment ce n’est pas très précis. Ces modèles sont construits en observant le coût des missions passées. Cela pose problème, car il y a eu quelques ruptures dans le spatial récemment. Pour n’en citer qu’un, le coût de lancement en orbite basse (le point de départ de tout ce qu’on fait dans l’espace) a été divisé par 5 en 10 ans. Il faut garder cette limite en tête, mais c’est quand même des outils décents pour se faire une première idée.

De manière très simple, la plupart des modèles de coûts fonctionnent de la même manière :

Coût = Masse Sèche X × Y

La masse sèche est un facteur déterminant car plus un système est grand, plus il y a des sous-systèmes dedans et d’interactions (ordinateurs de bord et leurs logiciels, câbles, antennes, gestion de la température et de la puissance, …). Le terme X est parfois utilisé pour casser la linéarité de l’équation : peut-être que la différence entre des engins de 1 et 2 tonnes est plus grande qu’entre des engins de 10 et 11 tonnes. D’un autre côté, plus l’engin est grand, plus il y a d’interconnexions et de complexité, plus il faut des grandes infrastructures de test et des équipements spécialisés, etc… Le modèle AMCM par exemple utilise X<1, tandis que USCM « est linéaire ». Personnellement, je trouve les modèles linéaires plus logiques et je trouve qu’ils marchent mieux. Pour finir, parlons du chiffre magique : Y. Il comprend tout : la complexité, le type de mission, le nombre d’unités produites, … Intuitivement, on comprend que le téléscope Hubble est plus complexe et a un facteur Y bien plus élevé qu’une constellation de satellites plus simples produits en masse.

Idéalement, nous voulons trouver des analogies avec des missions passées pour estimer le coût d’un élément. Si on parle par exemple d’un satellite d’observation de la Terre, regarder le coût des satellites du programme Sentinel peut être un bon point de départ pour vérifier la cohérence de ce que sort le modèle.

ProgrammeEntrepriseMasse sèche (t)Coût ($, 2018)UnitésCoût spécifique ($/tonne)
Hubble Space TelescopeLockheed10.92.9B1268.9M
Sentinel 2Astrium Germany1.02125.0M1122.9M
Sentinel 1 C & DTASI2.20478.4M2108.7M
CygnusNorthrop Grumman3.403.4B1099.6M
Apollo LEMGrumman4.484.8B1288.6M
DragonSpaceX4.203.6B2043.4M
ISS Node 2 & 3TASI15.0510.5M217.0M
Coût de quelques projets existants

Vous remarquerez que j’ai spécifié les coûts en dollars de 2018. C’est important de prendre en compte l’inflation, car les projets d’il y a 30 ans auraient l’air super bon marché sinon. On pouvait faire autant de choses avec $l en 1970 qu’avec $7.88 aujourd’hui. Vous remarquez aussi que j’utilise des $ bien que nous sommes dans la zone Euro : c’est pratique car tous les ans la NASA publie leur New Start Inflation Index (NNSI), qui est un bon chiffre à utiliser pour l’inflation spécifique des projets spatiaux (qui ne suit pas forcément l’inflation tout court).

Alors voilà. Nous allons estimer le coût à partir de la masse sèche et d’un nombre magique. Ce n’est pas super précis, mais la plupart du temps, il y a un ordre de grandeur de différence entre des solutions concurrentes, ou alors elles dépendent de la même estimation de coût, alors ça fera l’affaire.

Souvent je serai optimiste par rapport aux modèles, car la réduction des coûts de lancement vont provoquer une réduction des coûts pour les charges utiles : les missions coûtent moins cher alors on peut accepter plus de compromis. Beaucoup d’acteurs privés participent aussi à l’exploration spatiale de façon différente ces dernières années (principalement à l’initiative de la NASA) en se finançant en partie par des investisseurs privés. Cette concurrence couplée à de plus petites structures a tendance à réduire les coûts comparé à ce qu’on observait historiquement.

J’espère que vous aurez appris des choses aujourd’hui. Prochain arrêt, la Lune ! 🚀

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Transporter des choses dans l’espace

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21 décembre 2015. La fusée Falcon 9 de SpaceX propulse 11 satellites ORBCOMM en orbite. C’est un tournant dans l’histoire du transport spatial, car on n’avait jamais fait atterrir le premier étage (la plus grosse partie) d’une fusée orbitale auparavant. Cela ouvre la voie vers un futur où on ne jette plus les fusées après les avoir utilisées, et où elles deviennent un moyen de transport comme un autre. C’est le lancement qui m’a fait réaliser qu’on vivait à un moment important de l’histoire humaine, celui où nous gagnons accès à de nouveaux continents, au-delà de notre atmosphère. Il va devenir abordable d’y aller et de développer nos activités. C’est ce qui m’a décidé à changer de carrière pour travailler dans le spatial après 3 ans de développement logiciel dans un autre secteur. Cette photo longue exposition montre les flammes du décollage (à gauche), et de l’atterrissage (à droite). Sans exagérer, même si le bénéfice des fusées réutilisables reste encore à prouver aujourd’hui, car ce sont de complexes objets d’ingénierie encore peu fabriqués, nos descendants qui vivront partout dans le système solaire dans un millier d’année se demanderont pourquoi nous avons attendu si longtemps pour les perfectionner. Depuis cet événement, d’autres entreprises se sont mises à étudier la possibilité de réutiliser leurs fusées, comme Rocket Lab (US/NZ) ou Linkspace (Chine), pour n’en citer que deux. Des organismes un peu partout dans le monde accélèrent leur programme de recherche sur ce sujet. En France par exemple, il y a un plan de développement pour les fusées réutilisables grâce aux programmes Callisto -> Themis -> Ariane Next, où le CNES, DLR, JAXA, ESA, et Ariane Group collaborent. Il y a encore des sceptiques, mais la révolution est en marche.

L’espace est très différent de ce qu’on observe au quotidien, alors un peu d’introduction est peut-être de mise. Si vous avez déjà étudié l’aérospatial, cet article contiendra des choses que vous savez déjà. Mais ça permettra d’avoir tout le monde à niveau sur les concepts de base, et d’avoir un lien de référence quand on en parlera sur ce blog.

Les voitures avancent en faisant tourner leurs roues : cela crée de la friction contre le sol, ce qui les fait avancer. Les bateaux et les avions à hélices fonctionnent un peu de la même manière, à cela près qu’ils ne poussent pas contre le sol mais contre le fluide qui les entoure (l’eau, l’air). Les avions à réaction et les fusées fonctionnent différemment : ils lancent quelque chose en arrière (du gaz chaud), et ça les fait avancer. Plus la masse éjectée est grande, et plus elle est éjectée rapidement, plus la fusée avance.

L’impulsion spécifique

Pour mesurer à quel point la masse est éjectée vite en arrière, nous utilisons « l’impulsion spécifique » (Isp). Elle mesure à quel point un moteur est efficace, comme le « Litres au 100km » pour les voitures. Plus l’Isp est grande, plus on peut accélérer avec une quantité donnée de carburant. Sans plonger dans le détail des équations, gardez en tête qu’une impulsion spécifique plus grande est souvent mieux, car on veut minimiser la quantité de carburant qu’on emporte avec nous (car il a, lui aussi, une masse qu’il faut déplacer… donc il faut prendre plus de carburant, et pour déplacer ce carburant, il faut plus de carburant, etc…).

Delta-V

Il y a deux types de distance dans l’espace. Enfin… en quelque sorte. En tout cas, c’est comme ça que j’aime le visualiser.

Le premier type de distance est évident : c’est la quantité d’espace qui sépare 2 objets. Par exemple, la lune est à 384,000km de la terre. Cette distance physique est importante car elle donne un indice sur le temps de trajet. L’espace est grand, alors même si on va très vite, cela peut prendre des mois (des années !) d’atteindre une cible.

Et puis il y a un autre type de distance, le plus important quand on parle de transporter des choses dans l’espace. L’orbite de la station spatiale internationale (ISS) est à 400km au-dessus de nos têtes, pourtant il est beaucoup plus difficile d’y aller que de faire un trajet de Toulouse à Paris (un voyage de 600km). C’est parce que l’ISS bouge très vite : plus de 7500m/s… 22 fois la vitesse du son ! C’est nécessaire d’aller si vite pour ne pas tomber sur la Terre.

Si vous ne comprenez pas pourquoi, qui mieux que Jamy pourrais vous l’expliquer en moins de 2 minutes ?

C’est pas Sorcier – Comment une fusée est-elle mise en orbite ?

La différence de vitesse (Delta-V, DV) mesure à quel point on a besoin d’accélérer pour aller à la même vitesse que la cible. Une fois qu’on va aussi vite que la cible (et dans la même direction), le mouvement relatif est 0, donc on voit la cible fixe et on peut interagir avec. C’est comme quand on fait un footing entre potes : tout le monde bouge, mais dans la même direction et à la même vitesse, donc on peut se parler (si on n’est pas au bout de sa vie comme c’est mon cas) !

Il y a une carte que j’adore qui montre le Delta-V nécessaire pour aller d’un endroit à l’autre dans le système solaire. On dirait une carte de métro :

Carte de la distance en Delta-V dans le système solaire (ouvrir en grand).
Si vous avez déjà joué à Kerbal Space Program, vous avez déjà vu ce genre de dessin, et je vous kiffe.

Pour les besoins de ce blog, qui sera centré surtout autour de la Terre, la Lune, Mars, et les Astéroïdes, la carte ci-dessous donne plus de détails :

Carte de la distance en Delta-V dans l’espace cislunaire et Mars.
On commence à voir apparaître des “endroits” moins connus, comme des orbites intermédiaires ou des points de Lagrange. On en parlera en temps voulu.

Il y a des trajectoires et des façons plus exotiques de se déplacer que ça, mais franchement on verra ça plus tard !

La masse sèche

Conceptuellement, une fusée est faite de 3 choses :

  1. La charge utile : c’est la chose intéressante qu’on veut transporter (un satellite, des humains dans une capsule pressurisée, …).
  2. Le carburant : c’est la chose qu’on veut jeter en arrière très fort pour accélérer.
  3. La masse sèche
Soyez préparés, je suis un expert en graphismes.

Ce qu’on appelle la masse sèche est la partie de la fusée qui n’est pas utile et qu’on ne peut pas jeter en arrière. La masse sèche, c’est pas bien mais c’est obligatoire : il faut une structure, des réservoirs, un moteur et un cône d’expansion, des ordinateurs de bord, des antennes…

Certaines combinaisons de carburant ont une grande impulsion spécifique, comme le LOX/LH2 (oxygène et hydrogène liquides), mais on a besoin de grands réservoirs très bien isolés pour ne pas que tout s’évapore (l’hydrogène liquide s’évapore à -253°C, assez froid pour geler l’oxygène liquide!). Il n’y a pas de formule magique pour faire une fusée : certaines ont une meilleure impulsion spécifique mais une plus grande masse sèche, d’autres ont moins de masse sèche mais doivent emporter plus de carburant car leur Isp est plus petite. C’est le cas par exemple des fusées LOX/CH4 (oxygène et méthane liquides). Le méthane s’évapore à -161°C et l’oxygène à -183°C. C’est presque pareil, et c’est pratique car on peut les isoler ensemble pour économiser un peu de masse.

Au fait, vous remarquerez qu’on doit emporter notre propre oxygène pour bruler le carburant. C’est parce qu’il n’y a pas d’oxygène dans l’espace, contrairement aux avions à réaction qui peuvent brûler leur kérosène dans l’air ambiant. On fait aussi des fusées au kérosène mais passé une certaine altitude, il n’y a plus d’air, donc on emporte quand même l’oxygène. Et puis quand on va très vite, c’est dur d’acquérir l’air autour de soi. C’est tout le défi des avions supersoniques.

Si vous vous demandez comment on fait pour garder aussi froid le carburant, considérez ça : il y a des bateaux qui transportent du gaz naturel liquide (composé presque uniquement de méthane) et qui passent plusieurs semaines sur l’océan !

C’est même écrit dessus : “Liquid Natural Gas”.

Calculer la charge utile

Imaginez que vous avez une fusée. Vous savez où vous voulez aller (le Delta-V), à quel point votre moteur est efficace (l’Isp), et la masse sèche de votre fusée. Combien de charge utile vous pouvez emporter avec vous ? C’est à ça que sert l’équation de Tsiolkovski (the rocket equation). Elle met en rapport la masse initiale (charge utile + masse sèche + carburant) avec la masse finale (charge utile + masse sèche, sans carburant), en utilisant comme paramètre le Delta-V et l’Isp.

“ve” – exhaust velocity – c’est l’impulsion spécifique multipliée par une constante, alors je ne vous ai pas menti. Il y a déjà un logarithme, franchement on ne fera pas plus compliqué niveau mathématiques.

Votre fusée fait 100 tonnes. L’équation est exponentielle (ou logarithmique suivant le sens dans lequel on la regarde), donc si vous voulez accélérer de 1000m/s, peut-être que vous pourrez prendre 70 tonnes de charge utile. Mais si vous voulez accélérer de 7000m/s, vous ne pouvez prendre que 6 tonnes.

Le pourcentage de charge utile lorsqu’on lance depuis la terre jusqu’en orbite basse (LEO) est autour de 1/30e (ça change pour toutes les fusées). Cela veut dire que pour envoyer 100 tonnes en LEO, il faut commencer avec 3000 tonnes sur le sol. C’est pour ça que les fusées sont grosses (on ne s’en rend pas vraiment compte sur les vidéos). Une rame de TGV fait environ 400 tonnes. Vous imaginez toute cette masse qu’on jette en arrière pour avancer ?

Cette fusée Saturn V expluse plusieurs éléphants par seconde pour s’arracher à la gravité terrestre. Dans la vraie vie on expulse plutôt du gaz chaud (des produits de combustion), mais l’animation est faite pour représenter de façon imagée la quantité énorme de matière qui est expulsée.

Cette notion de “pourcentage de charge utile” est importante pour comprendre l’économie spatiale : en fonction d’où est produit une ressource et où elle est demandée, il peut y avoir une grande différence sur le prix de vente. Plus on est loin, plus on est prêts à payer cher pour quelque chose, car on n’a pas à l’emmener soi-même, et on peut construire une fusée plus petite. La plupart des coûts sont dus au transport.

Aérofreinage

Dernier concept. Un mot sophistiqué. J’adore.

Avoir 100% de charge utile est théoriquement impossible, mais on peut s’en approcher. Cela voudrait dire que la charge utile est seule… qu’il n’y a pas de fusée attachée à elle, ou en tout cas qu’on n’expulse pas de masse en arrière pour avancer. Des concepts ont été proposés, comme des « catapultes », des « canons », des « trébuchets », qui lancent la charge utile vers sa destination, où une autre infrastructure est en place pour l’attraper. Nous discuterons de cette possibilité futuriste dans un post dédié, car cela changerait énormément de choses et présente ses propres challenges.

Deux exemples d’aérofreinages, plus ou moins violents.

Pour les trajectoires qui arrivent sur la Terre et sur Mars (ou n’importe quel corps possédant une atmosphère – pas comme la Lune), nous pouvons utiliser l’aérofreinage pour réduire notre vitesse. Cela réduit le Delta-V effectué par des moteurs, donc améliore le pourcentage de charge utile (l’augmente). L’engin spatial frotte contre la haute et fine atmosphère – comme un parachute, mais moins intense.

Ce procédé convertis de l’énergie cinétique (vitesse) en énergie thermique (chaleur) : l’engin ralentis mais chauffe. Il frappe fort les molécules d’air sur son chemin, en leur transmettant une partie de sa vitesse, et il compresse le gaz devant lui, ce qui augmente sa température. L’exemple le plus extrême de cette application est pour les capsules de retour sur la Terre : il n’y a même pas de fusées dessus, juste un bouclier thermique et des parachutes. Evidemment, cela ne marche que dans un sens (on ne peut pas monter dans l’espace grâce à des parachutes). En pratique, cela demande de la masse sèche supplémentaire, car il faut une structure plus robuste et pouvoir gérer la chaleur. C’est également un procédé qui prend du temps, car on ne veut dissiper qu’un peu d’énergie à chaque passage de l’orbite pour ne pas trop stresser le vaisseau.

Pour exemple, l’orbiteur martien TGO de l’ESA a utilisé l’aérofreinage pour économiser environ 1km/s de Delta-V à son arrivée sur Mars pour rejoindre son orbite opérationnelle, mais ça a pris environ 1 an.

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Le huitième continent

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Pourquoi devrions-nous explorer et nous installer dans l’espace ?

Parfois, on dit que la lune est “le huitième continent” de la Terre. Voici comment j’aime y réfléchir.

Une ville sur un autre monde. Illustration par David Schleinkofer, 2011.

Imaginons. Nous sommes en 2020, et pour une raison que l’on ne s’explique pas, nous venons de découvrir aujourd’hui un continent grand comme l’Afrique au milieu de l’océan Pacifique. Combien de temps attendrons-nous avant d’y aller ?

Ce continent fictif aurait des règles du jeu complètement différentes. Il y ferait parfois très chaud, parfois très froid. Clairement, on ne serait pas faits pour vivre là-bas. L’atmosphère étrange nous forcerait à porter des vêtements spéciaux. L’air ambiant changerait complètement la façon dont on conçoit les industries, car certains procédés seraient beaucoup plus faciles à faire ici. D’autres seraient plus difficiles. D’ailleurs, le sol n’aurait rien à voir avec ce qu’on connait, il serait composé d’autres matériaux, dans des proportions différentes, qui nous forceraient à complètement repenser nos techniques de construction et comment nous fabriquons nos objets du quotidien. Il y a des éléments chimiques essentiels à notre survie qui y seraient très rares, ce qui nous forcerait à faire des progrès sur le recyclage et l’économie circulaire pour réduire les coûteux imports par avion depuis les continents voisins. Depuis ce continent, on aurait accès plus facilement à des îles proches, qui ont elles-aussi leurs spécificités et leurs curiosités.

La vie n’y serait pas facile dans un premier temps, car il y aurait tout à construire et peu d’infrastructures en place. On tenterait des idées nouvelles, et il y aurait des échecs. Parfois, des drames humains seraient bouleversants, et on remettrait en cause cette entreprise. Ce serait une aventure dangereuse mais avec une grande perspective pour l’avenir, celle d’ouvrir un nouveau continent entier pour l’humanité. Un continent supplémentaire qui verra naître des gens qui vont créer, imaginer, aimer, partager, écrire leur propre histoire. Leur vie n’aura pas grand-chose à voir avec la nôtre, car ils vivront dans un environnement totalement différent et développerons leur propre culture. C’est cette différence qui fera leur force, et qui apportera de la diversité au patrimoine culturel de l’humanité.

Cette aventure épique, ça ne serait pas de la science-fiction. On pourrait dire aux enfants : si tu travailles bien à l’école, toi aussi tu pourras faire partie de cette grande aventure. Toi aussi tu pourras écrire l’histoire.

En essayant d’aider les courageux pionniers qui risqueraient leurs vies à faire ce voyage les premiers, des générations d’ingénieurs et de scientifiques se creuseraient la tête pour résoudre ces nouveaux problèmes qu’on ne s’était pas posés jusque-là. Cela offrirait également un nouvel angle d’attaque pour des problèmes déjà connus. Une nouvelle perspective pour trouver des solutions jusqu’alors laissées de côté. Un deuxième point de mesure pour des théories déjà confirmées.

Certaines personnes seraient proches de celles et ceux qui font le grand saut. Leur investissement émotionnel serait grand, et quand on est passionné et investi, on réfléchit différemment – c’est une force. Les guerres sont connues pour être très motrices pour l’inventivité et le progrès technique. Il vaut mieux que cet investissement émotionnel vienne d’une aventure excitante que de la peur, l’instinct de survie, ou le nationalisme. Même sans investissement personnel aussi fort, le fait de pouvoir travailler au quotidien sur un objectif qui a du sens, c’est un des principaux facteurs pour aimer son travail. Beaucoup de personnes aujourd’hui qui ont fait des études supérieures sont en quête de sens.

De premier abord, ce grand projet aurait beaucoup l’air d’une perte de temps et d’argent. Pourquoi investir autant d’efforts pour vivre à un endroit si hostile ? On ne pourra pas cultiver de quoi vivre là-bas, en tout cas pas comme on le fait ici. Et il n’y a aucuns minéraux à y extraire qu’on n’ait déjà ici.

Comme bien souvent, le voyage est plus intéressant que la destination. Pour accomplir cet effort, il faudrait inventer plein de nouvelles choses et développer de nouvelles mentalités. C’est ça qui est important.

Il est difficile de savoir à l’avance si une innovation va générer des bienfaits ou des profits… En revanche, ce que l’on sait, c’est que s’il y a un moyen d’augmenter le nombre d’innovations, il y aura sûrement parmi elles certaines qui se révéleront utiles, voir transformatrices.

Nous vivons beaucoup mieux aujourd’hui qu’il y a 2000 ans. Ce n’est pas parce qu’on a changé de planète, ou que les règles du jeu ont changées. C’est le progrès technologique qui nous a ouvert de nouvelles perspectives sur les façons d’interagir avec le monde qui nous entoure. Offrir un terrain de jeu pour stimuler l’inventivité qui sommeille en chacun de nous, voilà la vraie raison. Beaucoup de défis seront spécifiques à la survie dans ce nouvel environnement hostile, mais beaucoup de technologies seront à coup sûr transposables pour améliorer le quotidien des personnes qui n’auront pas fait le voyage. Ça a déjà été le cas depuis qu’on envoie des machines dans l’espace, et des personnes à peine plus loin que le haut de notre atmosphère. Alors qu’est-ce que ce sera lorsque des personnes vivront à plein temps sur un autre monde, où ils feront l’essentiel des activités quotidiennes servant à survivre, travailler, et se divertir ?

Faire le choix de partir dans l’espace, ce n’est pas renoncer aux défis auxquels nous faisons face sur Terre, c’est au contraire nous offrir de nouveaux outils pour y faire face.

Aujourd’hui, ce huitième continent n’est pas au milieu de l’océan pacifique, mais au-dessus de nos têtes. Ce continent, ça aurait pu être le fond des océans, l’Antarctique, les déserts, la Lune, Mars, des stations géantes dans l’Espace, ou autre chose. Mais à l’intersection de ce qui est techniquement faisable, qui est excitant pour notre avenir, qui s’aligne sur le contexte géopolitique actuel, et pour lequel nous avons un tissu d’acteurs privés qui arrivent à maturité… Aujourd’hui, il y a la Lune. Bientôt, il y aura Mars.

Alors allons-y. Et restons-y.

Le plus beau dans le fait d’utiliser l’espace comme une frontière d’innovation et de développement durable, c’est que c’est un modèle qui ne peut pas s’épuiser. Il y aura toujours de nouveaux mondes à explorer, à étudier, où s’installer. Saisissons cette opportunité tant qu’elle se présente à nous.

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L’espace est grand

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J’aimerais ouvrir ce blog avec 3 mots simples : « L’espace est grand ».

En fait, je dirais même qu’il est impossible d’imaginer à quel point c’est immense. Cette infinité de nouveaux mondes pourrait offrir un nombre illimité d’opportunités pour l’humanité de se développer, si nous avons assez de vision pour oser l’explorer et nous y installer. Bien sûr, il y a des défis imposés par les lois de physique, les contraintes économiques, et les choix politiques. Mais si nous les comprenons bien, nous pouvons rêver grand, réfléchir aux sujets pertinents, et marcher dans la bonne direction pour commencer notre voyage vers les étoiles.

“Return to the Moon”, Robert McCall, 1991.

Ce blog va présenter quelques concepts pour bien comprendre ce qui est en jeu et décrypter les implications de ce qu’on lit dans les actualités spatiales. J’espère également qu’il vous donnera les outils pour analyser quels chemins font sens pour l’exploration spatiale – et pourquoi pas vous permettre aussi de faire vos propres scénarios, si c’est votre truc.

La première série d’articles tournera autour de la Lune, car c’est la destination de choix pour l’exploration spatiale à court terme. Je devrais être en mesure de vous donner des informations intéressantes, car je suis impliqué dans diverses communautés intéressées par l’exploration et l’industrialisation de la Lune. J’ai participé à quelques études pour explorer et s’installer durablement sur la lune lorsque j’étais étudiant, et c’est un sujet que je tiens à cœur depuis. Mars aura également sa part de contenu (je ne suis pas un membre actif de la Mars Society pour rien !), mais plus tard.

Si vous souhaitez suivre ce qu’il se passe ici, ça serait chouette que vous vous inscriviez aux notifications par e-mail. Vous serez les premiers au courant de ce qu’il se passe, et ça me motivera également à produire du contenu si je sais que vous attendez des mises à jour 😉


Le premier article sera peut-être assez évident si vous êtes déjà passionné par l’espace, mais il y a des concepts fondamentaux qu’il faut expliquer avant de plonger dans des sujets plus précis (et ça nous fera un lien de référence lorsqu’on en parlera). Il présentera les principes généraux du transport dans l’espace que nous utiliserons ici.

Ensuite, il y aura une courte introduction sur l’estimation des coûts, car l’argent est un aspect important dans toute décision, le spatial ne fait pas exception.

Finalement, nous aurons une discussion en profondeur sur les coûts de transport dans l’espace cislunaire ! 🚀

A bientôt,
Erwan