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Cette fois, c’est pour rester

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Le contexte géopolitique nous assure plus ou moins qu’il va y avoir de l’argent dédié au développement d’activités lunaires ces prochaines années. Même si on peut penser que ce n’est pas forcément pour des bonnes raisons, c’est une opportunité. Vivre dans l’espace aura de nombreux bénéfices, alors c’est peut-être un mal pour un bien ?

Pour rendre plus durable notre retour vers la Lune, il va falloir apprendre à vivre là-bas et à utiliser des ressources locales. L’argument premier est très pragmatique, c’est de pouvoir réduire les coûts. Les colons espagnols n’ont pas amené avec eux les pierres et le bois nécessaire pour bâtir le nouveau continent, ils ont fait avec ce qu’ils ont trouvé sur place. A plus petite échelle, ceux qui font de la randonnée savent que pouvoir se ravitailler en route (eau, nourriture) fait vraiment la différence !

Que nos sorties lunaires durent 1 semaine ou 1 an, le coût récurrent de ces sorties sera plus faible si nous investissons initialement dans des infrastructures d’utilisation de ressources locales.

Un hôtel Hilton sur la Lune, Klaus Bürgle, 1970.

Voilà ce qui et très différent en ce qui concerne la Lune par rapport aux années 60. Tous les pays sont d’accord dessus, et l’administrateur de la NASA la répète souvent: “cette fois, c’est pour rester”.

Cette fois c’est pour rester. D’accord. Comment on fait ? Et pourquoi on a arrêté d’y aller la première fois ? La réponse est très simple: ça coûtait trop cher de continuer, parce qu’y rester durablement n’était pas un objectif.

Dans les années 60, on commençait à peine les satellites, et l’objectif était surtout lié au voyage, pas à la destination. Kennedy a choisi de guider les américains vers la Lune “non pas parce que c’est facile, mais parce que c’est dur”, et d’y parvenir “avant la fin de la décennie”. Face à cet objectif ambitieux, des systèmes d’ingénierie et de financement exceptionnels ont été mis en place. Pour gagner la course contre la montre et démontrer que les Américains avaient la capacité d’accomplir de grandes choses, rapidement. Une fois sur place les premiers, l’objectif était atteint, et il n’y avait pas vraiment d’autres objectifs à long terme. L’euphorie nationaliste et retombée et le financement n’était plus tenable politiquement : visitée pour la première fois en 1969, la Lune n’a revu personne depuis 1972.

Cette fois, les programmes ne sont plus articulés autour d’objectifs, mais de capacités. Il y a quand même un objectif large, retourner sur la Lune pour y rester avant 202X, mais on construit petit à petit des briques qui rendent cela de plus en plus faisable, au lieu d’un gros programme monolithique. D’abord les fusées, ensuite les capsules habitées, les atterrisseurs capables de viser un endroit précis, … bientôt les rovers de prospection, les habitats lunaires, et les machines pour exploiter les ressources locales.

Il n’y a pas d’objectifs précis, mais petit à petit, les briques s’assemblent et à mesure qu’elles prennent vie, nous nous rapprochons de la Lune, en réduisant les coûts futurs pour y aller.

Dans la série The Expanse, l’humanité s’est installée dans l’espace. Pendant la nuit lunaire, les lumières des métropoles de Luna sont visibles depuis la Terre. Aucun doute que les terriens seront captivés par ce spectacle nocturne, qui chaque nuit leur rappellera qu’il est possible de rêver grand, que le ciel n’est pas un plafond, et qu’il existe une infinité d’autres mondes à découvrir, explorer, où s’installer.

Autre grande différence: certains de ces développements se font par des entreprises privées (surtout aux USA, à l’initiative de la NASA). Le gouvernement co-finance les coûts de développement, alors c’est un peu artificiel de dire “privé”. Mais une fois les coûts initiaux de recherche et développement absorbés, ces acteurs privés pourrons continuer leurs activités lunaires en nécessitant beaucoup moins d’entrants de la part des gouvernements, qui pourront alors se focaliser sur les prochaines étapes comme aller vers Mars, ou développer à plus grande échelle les installations lunaires, sans sacrifier la continuité des services précédemment développés.

L’objectif des Etats-Unis est de construire un écosystème d’acteurs privés avec des capacités complémentaires, qui s’achèteraient des services les uns aux autres, où la NASA ne serait qu’un client parmi d’autres. Les partenaires internationaux seraient bienvenus dans cet écosystème, amenant eux aussi leurs capacités et leurs services.

Ce n’est peut-être pas convainquant, car c’est très abstrait. On ne fait pas un business plan pour dire : je vais investir tant, et après tant d’années j’aurais tel retour. On est complètement dans le flou, car on ne sait pas où on va. On imagine bien comment certains services pourraient voir le jour : des entreprises de transport, des entreprises de logistiques, des entreprises pour gérer les réseaux d’énergie, des entreprises de minage, des entreprises de construction, des entreprises de nourriture et support de vie, de valorisation des déchets, des fonderies, … Aujourd’hui les pièces du puzzle ne s’assemblent pas, car il n’y a pas de clients. Qui voudrait aller sur la Lune et acheter les services de tous ces gens ? Quelles recettes feront les activités lunaires pour justifier toutes ces dépenses ?

Dans un premier temps ce seront les gouvernements qui combleront le manque d’exports, et la NASA fait le pari que l’inventivité et l’esprit d’entreprise permettra de découvrir à l’avenir quelle idées permettent aux activités lunaires de se financer.

Il était impossible, en 1788 lorsque la couronne britannique a créé le camp pénitencier de Sydney, de savoir que 60 ans plus tard cela deviendrait un état démocratique qui exporte des milliers de tonnes de laine de mouton chaque année, pour devenir aujourd’hui la 14e puissance économique mondiale. Christophe Colomb n’est pas allé en Amérique avec l’objectif de construire des exploitations de tabac et des usine de bateaux. C’est impossible de savoir à l’avance ce qui marchera. Je pense personnellement que les exports lunaires seront intellectuels (tourisme, sports en gravité réduite rediffusés sur internet, propriété intellectuelle d’innovations stimulées par ce nouvel environnement, des cailloux tout à fait ordinaires mais avec une valeur spéciale car “ils viennent de la Lune”…). L’export physique à grande échelle demanderait de faire encore beaucoup de progrès sur les fusées. Mais qui sait de quoi demain sera fait ? Quand on parle d’un horizon 60 ans, on parle d’un horizon où des jeunes pas encore nés aujourd’hui seront en fin de carrière professionnelle. Il peut se passer des choses entre temps…

En commençant aujourd’hui par des activités sponsorisées par les gouvernements, à quoi ressemblera la Lune dans 60 ans ? Si nous n’y allons pas, nous ne saurons pas.

La Lune n’est pas un endroit désagréable. La vie y est artificielle, les machines sont omniprésentes, parfois bruyantes… Mais c’est stimulant, il y a tout à construire. En levant les yeux, ont pourra toujours se rappeler que nos proches ne sont pas loin, et que ce n’est pas seulement pour eux qu’on est là, mais aussi pour ouvrir un avenir riche en découvertes et en perspectives pour tous les autres qui sont sur cette fragile sphère bleue. Le trajet ne prend que quelques jours, comme un trajet en bateau, et les communications quelques secondes, donc on peut faire des appels visio. Ce sera comme faire ses études à l’étranger dans un pays exotique avec une mauvaise connexion internet. D’ailleurs, peut-être qu’un jour des étudiants feront leur doctorat sur la Lune. Dans ces machines omniprésentes, ce sont des personnes de la Terre qui sont aux commandes, alors on ne se sent jamais vraiment délaissés. Même s’il n’y a que quelques personnes dans la base, il y a des milliers de personnes là-haut qui nous apportent leur aide jour et nuit, et des millions qui suivent notre aventure grâce aux réseaux sociaux et à des documentaires.

Image par SOM représentant le Moon Village proposé par l’ESA.

One reply on “Cette fois, c’est pour rester”

Excellent comme toujours !
On voit bien qu’on a identifié une grande partie de l’intérêt d’un retour lunaire durable, en termes de technologies, d’engagement en STEM, en science etc… Chaque jour on identifie les briques manquantes pour y arriver, il est temps d’investir dans les briques élémentaires ! Je suis certain qu’une fois la Lune plus accessible, les couts réduits, les industriels s’engouffreront dans ce marché. Mais aujourd’hui, cette stratégie et cette vision doit êttre initiée par les agences et supportée par les gouvernements. On ira sur la Lune, tôt ou tard. Choisirons-nous de rester dans l’histoire comme la génération qui savait mais qui n’a rien fait ?

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